« Il n’y a pas d’image juste, il y a juste des images. » Jean-Luc Godard

Le CRP/ présente « Mytho », une exposition inédite de Robin Lopvet. Elle soulève, à travers plusieurs séries réalisées par ce jeune artiste français, la question de l’image digitale et de ses pouvoirs infinis.

Dès sa première série, Là d’où je viens, Robin Lopvet expose les fondamentaux de son travail. Une photographie crue, au flash et des associations absurdes sous-tendent une atmosphère à la fois drôle et inquiétante. De retour dans sa ville d’origine, Epinal, Robin Lopvet nous propose une déambulation nocturne qui résume son parti pris photographique. Dans la capitale des Vosges comme ailleurs, ce que nous montre la photographie n’est pas la réalité. Le médium de la vérité est ici utilisé pour nourrir une esthétique légendaire ou de conte fantastique.

L’animal prend une place centrale dans l’œuvre et se prête sans concession aux pires détournements visuels. Il sait atteindre aussi le plus large des publics. Quand Robin Lopvet diffuse sur internet ses images mêlant têtes de chien et paysages enfumés (tsunami, explosion, tempête de sable…), il se fait surprendre et dépasser par leur viralité. Partagées par millions, elles témoignent de la surreprésentation de l’animal sur les réseaux sociaux et de la puissance de la circulation des images (futiles) sur la toile. D.O.G.S évoque avec légèreté et humour potache, le caractère vertigineux de ces flux.

Marquée par la culture geek, l’écriture de Robin Lopvet n’en est pas moins empreinte de références à l’histoire de l’art. Il revisite sans complexe les classiques, du nu à l’autoportrait, tout en y impulsant l’énergie et les codes visuels de son époque.

Aux antipodes d’une approche académique, il peut aussi rester rivé à l’original. Admirateur de Jérôme Bosch en qui il se reconnait dans l’effervescence et l’expression d’une certaine folie, il présente dans l’exposition une réinterprétation du Christ aux Limbes. Proche de la toile de départ, dont il conserve les dimensions originales, il revoit et corrige chacun des personnages et des détails par le recours à l’intelligence artificielle.

Les séries « Prémices » et « 7ème continent » réinventent quant à elles la nature morte par le photomontage. Animé par des motivations proches de celles des peintres du XVIIème siècle, Robin Lopvet expose la réalité concrète des choses dans une profusion d'éléments arrangés dans un espace complexe. Il entremêle fruits et légumes fatigués avec un ensemble d’objets du quotidien qu’il ne choisit pas par hasard : un couteau réalisé par un artisan local, une pièce de monnaie rapportée d’un certain voyage, … Ramollis, déformés, ils prennent vie comme dans un tableau de Dali ou sous l’effet d’un psychotrope hallucinatoire. Ces tableaux saturés et foisonnants ancrent l’idée de recyclage au cœur de la démarche d’un artiste aux positions fortes sur l’écologie et la décroissance. On notera aussi ce clin d’œil ironique au « défunt » monde de l’argentique sous la forme de diapositives déchirées ou brulées.

Si la technologie liée à l’image digitale donne l’impression de réduire l’effort de l’humain, il n’empêche que les œuvres de Robin Lopvet résultent souvent d’un travail colossal, notamment dans sa production vidéographique.  En 38 minutes, la vidéo Made in Taïwan dévoile un processus de création à partir de collages numériques image par image. Une technique méticuleuse qu’il développe et met au point pour cette pièce réalisée dans le cadre d’une résidence artistique à Tainan, Taïwan. Chassée les uns par les autres, les éléments apparaissent et disparaissent successivement dans un rythme frénétique. La retouche numérique est intentionnellement rendue visible et assumée.

Prodige de la retouche, Robin Lopvet exploite son savoir-faire et sa panoplie d’outils numériques pour donner à voir son propre univers entre mythologies et mythomanies. Détournement, transformation, réappropriation, les images qu’il créé témoigne d’une grande liberté et d’une créativité sans limite. Elles donnent accès à un autre monde, coloré, parodique, tourbillonnant mais aussi conscient et questionnant.



Audrey Hoareau

Commissaire de l’exposition

Directrice du CRP/







Ce qui est déjoué

"Il y a quelque chose de nouveau à partir du moment où l’essence de l’activité de l’être consiste à produire de manière occultée des objets infiniment en série qui s’entasse à la fois comme forme de l’encombrement, comme déchet et comme principe d’addiction. Cela se nomme la crise matérielle de la modernité et l’oubli de toute possibilité d’une histoire de l’agir. L’histoire de la modernité est l’histoire de l’oubli de la possibilité de l’agir. Cet oubli a lieu dès que l’être est enfermé dans une relation silencieuse occulte à l’objet comme encombrement, comme déchet et addiction. L’encombrement est à la fois histoire du capitalisme (l’accumulation de l’objet comme encombrement en vue d’une accumulation du capital comme absorption de la valeur) et l’histoire du fétiche, puisqu’il s’agit alors de sélectionner parmi la masse infini des objets celui qui offrira la possibilité d’une relation singulière mais infondée, mais illogique et occultée dans les replis tragiques de l’être seul. Le déchet est quant à lui une histoire plus récente. Elle est cela élucidée par Walter Benjamin dans la figure du Lupensammeler. Celle du chiffonnier. Cette histoire apparaît alors comme réponse possible à l’encombrement de ce qui se garde mais aussi, et surtout, de ce qui advient comme déchet. L’accumulation moderne du déchet, du rebut, du reste, des figures abandonnées est la crise de la sphère même du vivant de l’être. Enfin l’histoire de l’addiction, est ce que nous pourrions nommer, en paraphrasant Avital Ronell, une histoire des narco-objets. Il est l’histoire de cette phase contemporaine d’une conservation qui n’est plus ni fétichiste ni combinante, mais simplement addictive. Que signifie l’addiction ? Elle est un mouvement vers (ad-) le montré, le dit (dictus). Addiction est donc un mouvement qui procède d’une inversion en ce qui consiste à refuser tout devancement pour s’enfoncer dans les figures d’une pro-venance. Que signifierait alors un narco-objet ? Il est à la fois ce qui n’aurait jamais dû être produit et ce qui aurait dû être réutilisé à d’autres fins et malgré cela l’objet qui ne cesse de se présenter dans les sphères de nos activités. En ce sens il bloque l’être dans son rapport au vivant et dans son rapport à l’usage. Il conduit l’être à un oubli de l’essence de l’agir, c’est-à-dire à l’oubli de l’essence (qu’il faut entendre comme capacité à se rendre présent) de l’opérativité. Le narco-objet se maintient à la puissance d’apparition et de l’occultation. Apparition comme permanence d’une nullité affirmée alors comme puissance. Occultation comme silence des possibilités de l’agir. Or il semblerait que nous ne pensions pas encore suffisamment l’essence de cet agir. Nous ne le pensons pas parce qu’il est occulté, mais par la présence de ce débordement d’objets comme encombrement, comme déchet et comme addiction. C’est cette relation qui occulte la possibilité d’advenir à une pensée de l’agir. Il y a donc à cet endroit la possibilité de se tenir à l’écart de cette emprise, la possibilité d’être tenu dans la narcose et dans l’addiction des effets de ce processus, soit encore la possibilité de tenir cette épreuve dans l’opérativité artistique. C’est peut-être cela que nous nommons notre contemporain. C’est peut-être aussi cela que nous voyons dans l’œuvre de Robin Lopvet. La tenue sidérante du narco-objet dans un jeu parodique, combinatoire et foisonnant. Il ne s’agit plus du réemploi, pas plus que d’une attitude de chiffonnier, mais d’un processus immédiat de montage. Mais le montage ici n’est pas fondé sur la dialectique (celle de la réconciliation) ni par une évidence de l’objet (celle d’une véracité) mais par la puissance du mouvement même de la production des objets. C’est cette aberration qui structure la puissance du projet de l’artiste. Elle est une situation évidente de ce qui se nomme parodie. La parodie est une jeu complexe qui ne prête pas à rire mais au contraire à observer la position de l’être. C’est le cri silencieux, traduit dans des éclats de lumière – dans l’Isola d’Arturo – qui énonce infiniment brutalement à celui qui attend encore une figure idéale du monde « Tu n’est qu’une parodie ». C’est semble-t-il le lieu ici du travail : dans la tenue des narco-objets, ceux qui sont ouverts à la puissance de néantisation de l’être et du silence infini du sens, que se joue le sens moderne de l’image et de l’œuvre. Elle est profondément parodique en ce qu’elle énonce au spectateur qu’il est le seul lieu de la parodie. L’œuvre de Robin Lopvet a cette teneur : elle n’est jamais la nostalgie d’un objet qui n’aurait pas été encombrant, qui n’aurait pas été des déchets et qui n’aurait pas été produit en vue d’une narcose, elle n’est pas terrorisée ni même angoissée de cette teneur. Elle ne réclame même jamais la possibilité d’un salut. Elle l’absorbe dans une combinatoire qui la projette dans l’épreuve de sa nullité et de son inefficience et en même temps dans la possibilité qu’il puisse lui rester une part de puissance. C’est ici que se situe seulement le travail de l’artiste."

Fabien Vallos, 2016








"Meanwhile, hailing from France, Robin Lopvet also employs wit and fancy, showcasing a tantalising combination of improvisation, archive and economics. Family Album (2014-present) digitally manipulates found documents from other families, interspersed seamlessly with material from his own lineage. Taking a cue from the act of sticking pictures into an album, over-scaled images are stacked up and piled over one another, like a collage that distorts and disturbs the overall narrative and timeline of events. The work eschews a straightforward linearity, and makes instead for a lively and intense act of rewriting and overtyping. Similarly, Stupid Sculptures (2014-present) is a series of manipulated images that comically re-interpret recognisable beings. One such example uses two fluffy poodles, each staring straight ahead, with three rather than two eyes. Playful, unexpected and parodic, Lopvet speaks to the influential object-oriented ontology and "tool-being" of thinkers such as Graham Harman and Katherine Behar, which refuses to anthropocentrically privilege human over object, and instead looks to the peculiar, independent dimension of items that exist without us, and seems to read photographs, which are ultimately representations, as objects in their own right. "

Colin Herd for Aesthetica magasine issue 78, aout 2017